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Si tu as lu les articles précédents de notre blog, tu sais certainement déjà tout des droits d’auteur et certainement un peu des droits voisins.
Côté auteur, le droit protège l'œuvre musicale et ses créateurs, alors que côté voisin, le droit protège la phonographie d’un morceau et les personnes qui y participent.
Dans cet article, c’est ce dernier point qui nous intéresse et on te propose de te plonger dans l’évolution des droits voisins, de saisir leurs principes, d’identifier les personnes qui en bénéficient et d’avoir un aperçu des organismes qui les gèrent. Prêt ? Let’s jam !
On te donne un peu de contexte pour démarrer : le nom complet de ces droits est « les droits voisins aux droits d’auteur ». Pourquoi ? Parce qu’ils concernent les acteurs qui interviennent au moment d’enregistrer l'œuvre musicale et protègent ce master, tandis que les droits d’auteur protègent ceux qui se sont occupés d’écrire la composition et les paroles de l’œuvre, d’où la notion de « voisinage juridique » entre les textes.
Au niveau international, on se met d’accord dès 1961 avec la Convention de Rome sur la nécessité de protéger ces acteurs du secteur de la culture.
En France, les droits voisins apparaissent donc en 1985, bien après les droits d’auteur mentionnés dès 1957 dans leur forme contemporaine, puis les deux sont intégrés au Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) qui paraît en 1992. Les droits voisins sont codifiés pour valoriser le travail des artistes-interprètes et des producteurs, même s’ils pouvaient être rémunérés au cas par cas, jusque-là seuls les auteurs étaient protégés par la loi et il devient nécessaire de leur accorder une forme de sécurité financière.
Les droits voisins protègent le travail des interprètes et producteurs dès qu’ils mettent un produit musical en circulation, l’enregistrent ou le diffusent. Ces droits sont distincts du droit d’auteur, qui apparaît dès que ce même produit musical est créé, c’est-à-dire écrit, composé.
Exactement comme pour les droits d’auteur, le texte de loi qui transcrit les droits voisins repose sur deux piliers : les droits moraux et les droits patrimoniaux.
Les droits moraux se concentrent également sur le respect de l’intégrité de l’interprétation, du nom de l’artiste-interprète. Il a le droit d’autoriser ou d’interdire l’exploitation de son travail, par exemple il peut refuser qu’une émission de télévision diffuse un extrait vidéo de son dernier concert, il a son mot à dire sur l’intégrité de sa prestation (réutilisation par un autre artiste comme un sample) et doit être crédité quand elle est exploitée. Cette dimension morale est perpétuelle et incessible, elle dure toute la vie de l’artiste-interprète, est transmise à ses héritiers à sa mort et ne peut être vendue.
Les droits patrimoniaux ont les mêmes principes ici que dans le droit d’auteur. Ils concernent ce qui peut être cédé par l’artiste-interprète et les producteurs d’un master, ils sont temporaires et durent 70 ans après la première diffusion ou représentation de celui-ci. Les droits patrimoniaux donnent à l’artiste le droit d’autoriser ou d’interdire l’enregistrement, la reproduction, la communication au public de sa prestation, ainsi que d’autres exploitations (bande-annonce, sonnerie de téléphone, etc.).
Il existe deux exceptions au droit d’auteur, qui représentent deux sources de rémunération pour les participants au master. Il s’agit de 1) La copie privée qui compense les artistes pour la consommation non commerciale de leurs prestations - on ne détaille pas tout ici comme on t’en parle déjà là ; et 2) La rémunération équitable qui les compense pour toutes diffusions de leur master dans des lieux publics - par exemple en boîte de nuit ou à la télévision.
Les droits voisins au droit d’auteur protègent les participants au master d’une œuvre musicale et cumulent le droit moral qui dure toute la vie + le droit patrimonial qui dure 70 ans après la première représentation ou diffusion du master. Le droit moral permet de sécuriser l’intégrité de son œuvre (crédits, reprise…) et le droit patrimonial permet de récupérer de l’argent quand sa prestation est commercialisée.
Pour te répondre, on reprend l’exemple de notre Super Groupe. Si tu n’as pas déjà suivi ses aventures au pays des droits d’auteur lors de la création de leur premier album, on te rappelle qui sont ces quatre membres :
Avant d’analyser qui bénéficie de quoi avec notre exemple, on te passe la définition du CPI des artistes-interprètes : « la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes. » En bref, il suffit d’être chanteur, musicien ou chœur pour en faire partie. C’est le cas des quatre membres de Super Groupe donc ils bénéficient tous de droits voisins sur leur nouvel album !
On illustre sur la base de 100 euros de droits voisins à se partager. Ça se complique un peu ici comme ils ont aussi promu leur éditeur Pascal au rôle de producteur de Super Groupe. Du coup, les artistes-interprètes de Super Groupe ont cédé la moitié de leurs droits voisins à Pascal sur la totalité du master de l’album, puisqu’il l’a produit et commercialisé.
En plus, Pascal leur a suggéré de convier un invité à l’enregistrement d’un de leur morceau en studio, Gros Gâteau, pour qu’il fasse les chœurs. Ils partagent donc leurs droits voisins avec Gros Gâteau au niveau du master du morceau, comme il y chante aux côtés d’Amin. Pour ça, Gros Gâteau touche 5 euros de Pascal et 5 euros de Super Groupe.
On pourrait penser qu’Amin réclame une plus grosse part que les autres vu qu’il cumule plus de rôles, mais ils se sont mis d’accord pour une répartition égale entre eux. Résultat des courses : 45 euros pour Pascal + 10 euros pour Gros Gâteau + 11,25 euros pour chaque membre de Super Groupe.
Ceci dit, comme Amin, Leïla, Jamie et Antoine ont fondé Super Groupe et cumulent le plus de rôles y compris celui d’auteurs des paroles et de la composition, tous les membres ont échangé avec Pascal et se sont mis d’accord pour les définir comme étant les artistes principaux de leur œuvre de collaboration. Comme Gros Gâteau est juste de passage sur un morceau, il bosse un peu comme un freelance pour eux et est noté comme artiste d'accompagnement. Cette distinction n’a pas de conséquence sur leurs droits comme ils ont les mêmes autorités sur le morceau où Gros Gâteau est invité, mais c’est bon à savoir pour des raisons qu’on te donne plus tard.
Si tu fais aussi partie d’un groupe, on te conseille de faire comme Super Groupe : il est vital de définir les rôles de chaque membre, donc les droits qui en découlent, avant de recevoir les enveloppes. Non seulement ça évite des malentendus inutiles, mais ça donne plus de temps pour créer de la musique ensemble !
Les artistes-interprètes (et cas échéant, les producteurs) sont protégés par les droits voisins aux droits d’auteur, ça leur permet d’être payés pour l’enregistrement dont ils sont responsables (leur record ou master).
Un peu comme pour les droits d’auteur, les artistes-interprètes et producteurs peuvent récupérer leurs droits voisins à partir du moment où ils sont enregistrés auprès d’un intermédiaire qui les aide à officialiser, négocier et surveiller l’exploitation de leur master. Il existe deux types d’intermédiaires, chacun permet d’adresser un canal de diffusion spécifique.
Si tu diffuses ton master en streaming, tu peux passer par un distributeur - une entreprise à but lucratif qui facilite la diffusion et la rémunération de tes titres sur et depuis toutes les plateformes de stream avec lesquelles il a signé un partenariat. Quand tu choisis ce fonctionnement, tu confies la collecte de tes droits voisins à ton distributeur puisque tu lui confies ton enregistrement. C’est :
1) pratique pour avoir tout au même endroit alors qu’il n’est pas évident de gérer à la fois son compte Bandcamp, Deezer, SoundCloud, YouTube, Spotify, iTunes ;
2) nécessaire pour accéder à certaines de ces plateformes qui ne sont ouvertes qu’au distributeur et pas aux artistes en direct.
Leur principe : tu paies des frais annuels ou par fichier streamé pour t’inscrire et en échange le distrib envoie ta musique aux plateformes, collecte les droits voisins sur ce master pour te les distribuer (ainsi qu’à ton producteur qui est habituellement en charge de gérer ton distrib cas échéant), avec parfois une commission sur ces derniers.
Par exemple, il y a DistroKid où les frais sont annuels, 19,99$ pour un artiste ou un groupe et s’adresse plutôt aux artistes sans prod comme Pascal. Une autre possibilité est l’américain TuneCore (TC) qui a été racheté par le distributeur français Believe Digital - ça coûte 9,99$ pour un single et 29,99$ pour un premier album.
Pour illustrer, on revient à Amin, Leïla, Antoine et Jamie ! Un label (ou maison de disques, ou producteur, c’est pareil) qui s’appelle Juste Les Cousins (JLC) repère Super Groupe et les signe. Super Groupe a gardé Pascal comme prod, ils travaillent tous chez JLC qui possède un compte chez DistroKid.C’est donc Pascal qui s’occupe de la relation avec Distro, en échange de droits voisins collectés par la plateforme sur la totalité des streams de l’album de Super Groupe.
Si tu veux plus d’informations sur la rémunération des artistes-interprètes en streaming, on a rédigé un article sur le sujet.
Tu peux passer par un distributeur - une entreprise à but lucratif qui facilite la diffusion et la rémunération de tes titres sur et depuis toutes les plateformes de stream avec lesquelles il a signé un partenariat. Quand tu choisis ce fonctionnement, tu confies la collecte de tes droits voisins à ton distributeur puisque tu lui confies ton enregistrement.
Comme chez les droits d’auteur, il existe des organismes de gestion collective des droits voisins (OGC).
Même s’il y en a plusieurs dizaines en France, on se concentre sur les quatre plus importants en nombre d’adhérents, dont deux dédiés aux prod et deux aux artistes :
Leur fonctionnement est similaire à la Sacem : il y a généralement des frais d’adhésion et une commission sur les droits voisins qui varie selon les canaux et durées de diffusion du master ainsi protégé. Il est d’ailleurs nécessaire de s’y inscrire pour toucher l’aide à la copie privée et la rémunération équitable. En effet, une institution qui s’appelle Copie France récolte la première et la reverse à la Société pour la Rémunération Équitable (SPRE) qui s’occupe aussi de rassembler les droits voisins depuis les lieux publics, la radio la télévision, avant de répartir le tout auprès des quatre OGC qu’on vient de te lister.
Les artistes-interprètes et les producteurs récupèrent les droits voisins sur leur master auprès de deux acteurs principaux : 1) Via le distributeur qui joue le rôle d’intermédiaire entre les ayants droits et les plateformes de streaming qui le diffusent. 2) Via l’OGC dont les participants au master sont membres et qui récupère les droits tirés de la diffusion du master dans les lieux publics, la tv et la radio.
Les artistes-interprètes et producteurs sont protégés et rémunérés au titre des droits voisins aux droits d’auteur, qui cumulent le droit moral et le droit patrimonial. Deux acteurs principaux collectent et reversent les droits voisins : les distributeurs digitaux pour le streaming, et les OGC dédiées aux artistes-interprètes et producteurs pour les lieux publics, la TV et la radio.