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La musique n’a pas de frontière et c’est une des raisons pour lesquelles on l’aime. Cependant pour ses créateurs, une mélodie peut perdre de son universalité quand la loi d’un pays sur ses droits musicaux intervient. En ce cas, mieux vaut être paré à voyager et capter ces nuances pour assurer ses arrières.
Ça tombe bien, l’objet de cet article est de te proposer un tour du monde de ces règles à travers 7 escales : la France et ses voisins européens belges, espagnols, allemands et italiens, ainsi que plus lointains avec le Royaume-Uni (UK) et les États-Unis (US). Ça n’est pas aussi complexe que ça en a l’air : les 7 pays entrent dans deux catégories, le droit civil chez les membres de l’Union européenne et la Common Law pour les pays anglophones.
Prêt ? 1-2-3 let’s jam !
Un atout de l’Union européenne (UE) est d’avoir mis en place un cadre juridique commun à ses 27 pays membres et heureusement pour les concernés, les droits musicaux font partie de ses principes transverses. C’est pour cela qu’on te récapitule comment les droits musicaux fonctionnent en France.
Si tu veux creuser le Code de la propriété intellectuelle (CPI) français qui cadre les lois nationales selon ces mêmes principes, on a écrit 2 articles de fond, l’un à propos des droits d’auteur et l’autre à propos des droits voisins.
D’après le droit français/européen, le droit d’auteur est le droit des créateurs. Il couvre ceux qui contribuent à la composition - les compositeurs - et ceux qui contribuent aux paroles - les auteurs paroliers. Ils sont protégés par la loi dès qu’ils ont créé un morceau et il n’y a donc pas de démarche à faire. Mais pour être sûr d’être protégé en cas de pépin, il est bon de penser à dater ses créations (on te donne différents moyens de l’officialiser ici). Les droits d’auteur reposent sur deux piliers : les droits moraux et les droits patrimoniaux.
Le droit moral permet à l’auteur de revendiquer la paternité de son œuvre via quatre privilèges :
On dit aussi que le droit moral est : perpétuel comme il ne s’arrête jamais et est transmis aux héritiers quand l’auteur meurt ; inaliénable comme il ne peut pas être vendu à des tiers (un contrat qui dit le contraire n’est pas valide) ; imprescriptible comme l’auteur peut décider d’y avoir recours quand il le souhaite (un temps mort ne justifie pas qu’on lui retire).
C’est pareil partout à un micro-détail près : en Allemagne, le droit moral peut avoir une durée limitée alors qu’en France, en Espagne, en Italie et en Belgique il est perpétuel.
Ensuite, le droit patrimonial. On te conseille de suivre attentivement cette partie comme elle englobe les mécaniques qui rémunèrent les auteurs, ou les autres ayants droit à qui il les aurait cédés :
La durée du droit patrimonial qui était de 14 à 21 ans à sa codification en 1793, est passée à 70 ans en 1992. Si les auteurs ont désigné des héritiers à leurs droits, la gestion de l'œuvre dépend de leurs droits moraux ; s’il y a plusieurs auteurs, c’est le décès du dernier auteur qui compte (après, la musique entre dans le domaine public).
Le droit d’auteur protège les créateurs d’une œuvre musicale dès qu’elle existe - compositeurs de morceaux et auteurs de paroles - et cumule le droit moral qui dure toute la vie (sauf en Allemagne) + le droit patrimonial qui dure 70 ans après la mort de l’ayant droit. Le droit moral permet à l’auteur de revendiquer la paternité de son œuvre (sortie, crédits, reprise…) et le droit patrimonial permet de récupérer de l’argent quand sa musique est reproduite ou performée.
Les droits voisins aux droits d’auteur concernent les acteurs qui interviennent au moment d’enregistrer l'œuvre musicale et protègent ce master (ou recording).
Exactement comme pour les droits d’auteur, le texte de loi qui transcrit les droits voisins repose sur deux piliers : les droits moraux et les droits patrimoniaux.
Les droits moraux se concentrent également sur le respect de l’intégrité de l’interprétation, du nom de l’artiste-interprète. Il a le droit d’autoriser ou d’interdire l’exploitation de son travail, par exemple il peut refuser qu’une émission de télévision diffuse un extrait vidéo de son dernier concert, il a son mot à dire sur l’intégrité de sa prestation (réutilisation par un autre artiste comme un sample) et doit être crédité quand elle est exploitée. Cette dimension morale est perpétuelle et incessible, elle dure toute la vie de l’artiste-interprète (sauf en Allemagne), est transmise à ses héritiers à sa mort et ne peut être vendue.
Les droits patrimoniaux ont les mêmes principes ici que dans le droit d’auteur. Ils concernent ce qui peut être cédé par l’artiste-interprète et les producteurs d’un master, ils sont temporaires et durent 70 ans après la première diffusion ou représentation de celui-ci. Les droits patrimoniaux donnent à l’artiste le droit d’autoriser ou d’interdire l’enregistrement, la reproduction, la communication au public de sa prestation, ainsi que d’autres exploitations (bande-annonce, sonnerie de téléphone, etc.).
Les droits voisins au droit d’auteur protègent les participants au master d’une œuvre musicale et cumulent le droit moral qui dure toute la vie + le droit patrimonial qui dure 70 ans après la première représentation ou diffusion du master. Le droit moral permet de sécuriser l’intégrité de son œuvre (crédits, reprise…) et le droit patrimonial permet de récupérer de l’argent quand sa prestation est commercialisée.
Les pays anglophones qui partagent leur histoire coloniale avec le Royaume-Uni, entre autres les États-Unis, font partie du Commonwealth, une organisation qui formalise leurs points communs dont la Common law d’où découlent certains de leurs textes de lois. Parmi ceux-ci, le copyright qui cadre les droits musicaux et qu’on t’explique tout de suite, en prenant les cas des US et du UK.
Deux notions à garder en tête avant d’aller dans le détail :
Pourquoi ? Culturellement et même constitutionnellement, c’est la liberté de créer qui prime sur les droits de propriété intellectuelle aux US. #Freedom !
Concrètement, une œuvre est considérée créée à partir du moment où elle est fixée matériellement sur un support (même si elle n’est pas finalisée), puis protégée par le copyright qui repose sur un système de dépôt, par exemple auprès du U.S. Copyright Office.
Cependant, si tu es un créateur français et que tu souhaites diffuser aux US ta musique créée auparavant en France, tu n’as pas besoin de le faire : grâce au texte international sur le sujet, la Convention de Berne de 1886, ton œuvre reste protégée par les règles de ton pays. Comment ? La Sacem dispose d’un réseau international dans 97 pays où elle collabore avec des sociétés équivalentes et y collecte tes droits d’auteur. Ici, on parle des sous que tu gagnes quand ton morceau est diffusé, a.k.a. tes royalties en anglais !
Retour aux US et au copyright. La personne propriétaire du copyright est celle qui a financé la création de l’œuvre. Il s’agit généralement du producteur, mais ça peut aussi être l’éditeur, l’auteur, le compositeur ou même l’artiste-interprète. En tout cas, le détenteur du copyright a le droit exclusif de reproduire et communiquer l’œuvre ainsi que d'autoriser la création d'œuvres dérivées, un périmètre à peu près équivalent aux droits patrimoniaux européens puisque c’est en signant ces autorisations qu’il se rémunère.
Alors, comment les personnes qui ont participé à la création sont payées pour leur contribution (on parle des auteurs-compositeurs ET des artistes-interprètes) ? C’est simple, elles sont considérées comme des salariées du détenteur du copyright et c’est lui qui les paie selon différentes clauses négociées dans un contrat de travail. On ne va pas entrer dans les détails, mais en gros ces contrats sont du sur-mesure et peuvent tout à fait inclure des accords assimilables à des droits moraux, sauf qu’aux US ils ne sont donc par définition ni inaliénables ni incessibles.
On termine notre tour du monde par un voisin pas si lointain et dont la gestion des droits musicaux traduit bien sa position, à mi-chemin entre l’Europe et les US. Là-bas, les droits musicaux reposent aussi sur les droits d’auteur qui protègent la composition et/ou les paroles cas échéant (publishing rights) et les droits voisins qui protègent l’enregistrement (master rights).
La subtilité est que les droits d’auteur ou publishing rights reviennent, comme aux US, à la personne qui a financé la création de la composition et/ou des paroles et que cette œuvre, encore comme aux US, doit exister sous une forme physique pour être protégée. Même si le financeur peut être un artiste indé qui pianote dans sa chambre, on retrouve le concept anglo-saxon ou c’est l’investissement financier qui légitimise la propriété et non pas la création.
Ceci dit, l’œuvre n’a pas besoin d’être déposée par copyright au UK et l’existence de cette forme physique suffit à donner le droit d’apposer le symbole © accompagné du nom du financeur et de l’année de la création pour signifier que l’œuvre est protégée. Nuance tout de même proche de l’Europe, mieux vaut se backer en adhérant à un OGC (la plus connue au UK est Performing Right Society ou PRS) pour récolter ses droits, ou royalties en anglais, au plus vite et sans avoir à passer par un tribunal en cas de litige.
Le copyright protège les catégories de droit publishing et master avec les mêmes droits patrimoniaux qu’en Europe, mais leur durée n’est pas la même : les masters sont protégés 50 ans après leur premier enregistrement et les paroles-partitions jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur et/ou compositeur. Aussi, les droits moraux de repentir et de divulgation n’existent pas. Enfin, il est plus compliqué de gagner un procès contre un exploitant accusé de ne pas avoir respecté l’intégrité de l’œuvre ou de l’interprétation par un artiste.
Aux US et au UK, le copyright équivaut uniquement aux droits patrimoniaux du droit d’auteur européen, sauf qu’il protège la personne qui finance la création d’une œuvre à partir du moment où celle-ci a une forme physique. Aux US, les autres droits européens n’existent pas et toute rémunération passe par des négociations de contrat de travail entre les financeurs et les créateurs + participants au master. Au UK, les autres droits sont similaires, à l’exception de 3 différences sur les droits moraux car les droits de divulgation et de repentir n'existent pas et le respect de l’intégrité de l’œuvre est plus souple.
Les pays de l’Union européenne partagent les mêmes lois sur le droit d’auteur, textes dont l’objectif est de protéger les auteurs-compositeurs et autrices-compositrices dès que l’oeuvre existe. Pareil côté droits voisins, qui eux protègent les artistes-interprètes et les producteurs. Aux US et au UK, le copyright équivaut uniquement aux droits patrimoniaux du droit d’auteur européen et protège la personne qui finance la création d’une œuvre à partir du moment où celle-ci a une forme physique. Les autres droits européens n’existent pas aux US alors qu’ils sont à peu près similaires au UK.